.. oui, Nurith, c'était comme une fenêtre ouverte sur l'esprit ton film hier... j'ai été très captivée
pendant toute la projection, ayant envie parfois, comme je te l'ai dit au restaurant, de
reprendre ma respiration en quelque sorte, d'arrêter un peu le film pour penser
tranquillement sur ce qui venait d'être dit, d'être déc-ouvert, à travers ces paroles
tranquillement inspirées.. .. Pour moi l'inspiration c'est tout le contraire de la prétention, dans
le mouvement même que cela suppose, l'inspiration c'est quelque chose qui se nourrit de la
réalité et va vers l'intérieur alors que la prétention se propulse vers le regard de l'autre,
s'expire... Le lien de ce que ces personnes éminemment anonymes racontent, avec ce dont
s'occupe la psychanalyse, m'a souvent sauté au visage. Oui, leur anonymat est une richesse
du film, il cautionne davantage encore la pureté de ce qu'ils disent. Et ils disent vraiment,
sans le savoir, des choses qui ont à voir avec la recherche de l'inconscient. Oui, le
psychanalyste est une sorte de traducteur mais aussi, peut-être, comme une fenêtre ouverte
sur l'inconscient du patient, une fenêtre plus qu'un miroir qui malgré tout est une surface
fermée. Je ne sais trop quoi te dire de "fermé" sur ton film dans la mesure où, précisément, il
est comme une succession d'ouvertures qui débouchent sur d'autres ouvertures... On
pourrait décider que c'est un film affûté sur le travail de traduction mais, au fur et à mesure,
on entend et on voit d'autres choses, dans l'objet —celui qui parle au moment où tu le
filmes— et hors de l'objet : son paysage, vers lequel ta caméra (mais à quel moment de son
discours ?) se tourne nonchalamment... C'est la très forte idée de ce film là, une idée qui
nous "oblige" à nous décaler nous mêmes vers autre chose... Les bureaux, les bibliothèques
de chacun, ces lieux religieux de sublimation, tous bien rangés comme leurs têtes, éveillent
en nous le fantasme d'une sorte de lieu idéal de la pensée, un lieu de rassemblement, avec
une lumière bien particulière pour chacun, une lampe parfois qui diffuse... mais ça c'est
plutôt moi qui rêve d'une lampe à la lueur focalisée, je ne crois pas qu'il y en ait dans ton
film. Ce qui m'épate à chaque fois, pour les trois, c'est ta maîtrise de la sobriété... c'est à ce
niveau là que tu es une sorte d"'étrangère magnifique" pour moi, la méditerranéenne,
comment peut-on dire et montrer autant de choses en restant sobre ? en maîtrisant le
signifié ? Ce qui est sûr, ce que j'avais envie de te dire avant qu'Heitor ne le formule, c'est
que ces trois films forment un ensemble merveilleusement cohérent, oui une oeuvre, parce
que selon moi, ce qui fait une oeuvre c'est la répétition, quand on sent que l'artiste revient
inlassablement, avec entêtement, sur quelque chose que lui-même ne saurait exactement
nommer, un noyau peut-être ou va savoir quoi... Je reste habitée depuis hier par le poème
de je ne sais plus qui à propos des entrailles du coq, moi qui ai vu des femmes, au moment
des fêtes de Pessah plumer puis vider des volatiles...
Et puis après ton film on s'est retrouvés et c'était un moment vraiment sympa. Merci de ne
jamais m'oublier quand on se retrouve comme ça, de me donner une place que j'accepte
avec plaisir. C'était gai ce repas, et j'ai trouvé particulièrement adorable, lunaire et tendre,
ton amie Anna qui était en face de moi...
Je pense revenir avec Raphaël le jeudi 24. Je te tiens au courant.
Merci encore Nurith de nous donner tout ça pour qu'on s'ouvre, comme des fenêtres, sur
l'immensité de la pensée humaine... Je t'embrasse très fort Martine.B