Si vous vous intéressez aux langues et à la poésie, ce qui a des chances d’être le cas si vous me suivez sur Facebook, je ne saurais trop vous recommander de regarder sur le site de France 3 le documentaire que Nurith Aviv vient de consacrer au yiddish. Je l’ai visionné avec un peu de retard, mais il reste visible jusqu’au 19 septembre.
Toute l’oeuvre de documentariste de Nurith Aviv (car c’est vraiment une œuvre) est traversée par la question des langues. C’est notamment le cas de « Traduire » (2011), « D’une langue à l’autre » (2004), « Langue sacrée, langue parlée » (2008). Je me souviens encore avec une grande émotion du dialogue que nous avions eu à la Bibliothèque de l’INALCO autour de « Traduire », il y a quelques années.
Dans ce nouvel opus, « Yiddish », elle est allée à la rencontre de quelques-uns de ceux qui travaillent sur cette langue. Des images de fenêtres ouvertes ponctuent chaque entretien, mais l’on voit aussi chacune et chacun de ces jeunes intellectuels que le yiddish a requis, que ce soit par tradition familiale ou par une de ces rencontres qui décident d’un destin, arriver chez lui et ouvrir la porte de son lieu de vie et de travail : car entrer dans une langue, qui est une façon d’habiter le monde, c’est ouvrir une porte et il faut que quelqu’un vous ait donné le code pour cela. Toutes et tous ont étudié le yiddish, langue longtemps méprisée, surtout en Israël, comme une langue de vaincus, alors que l’hébreu apparut comme une langue de la fierté retrouvée, une langue de la modernité. Dori Manor dit même : une langue virile.
De Paris à Vilnius, de Berlin à Tel Aviv ou à Varsovie, Nurith Aviv est allée à leur rencontre et elle leur a demandé de choisir chacun un poète. Car si l’on connaît en général les grands romanciers que sont Cholem Aleikhem, Isaac Bashevis Singer ou peut-être Isaac Leib Peretz et Sholem Asch, on ne sait pas que le yiddish a été la langue de poètes très novateurs au début du vingtième siècle. Ce documentaire est donc une sorte d’anthologie de quelques poètes majeurs qui n’ont nullement été des nostalgiques du passé ou des folkloristes mais les promoteurs d’une esthétique nouvelle : Peretz Markish, Anna Margolin, Celia Dropkin, Debora Vogel, Avrom Sutzkever, Moysh-Leib Halpern, sans oublier Yehoyesh dont la traduction de la Bible en yiddish est manifestement d’une grande beauté et contribua à forger la poésie moderne dans cette langue. Portés par la voix de ces spécialistes, pour la plupart jeunes, qui les font (re)vivre, les traduisent, les étudient, leurs textes donnent du yiddish une tout autre image que celle, un peu nostalgique et attendrie, que nous avions. C’est d’ailleurs pourquoi, certainement, Nurith Aviv a demandé à ses interlocuteurs de ne pas tous s’exprimer en yiddish, mais aussi en hébreu, en français, en anglais. Afin de ne pas refermer la langue sur elle-même mais de l’intégrer dans la symphonie des langues bien vivantes.
Et j’ai eu grand plaisir aussi à retrouver dans ce documentaire plusieurs personnes que je connais, un ancien étudiant notamment, et aussi bien sûr Dori Manor, poète et traducteur, qui joue dans la vie littéraire israélienne un rôle très important.
Pour trouver l’émission, allez sur le site de France 3 et cherchez la case « L’heure D ». Il n’y a pas de lien direct.
Jean-Yves Masson