Chère Nurith,
Je voulais t'écrire pour te dire à nouveau combien j'ai apprécié ton film Yiddish, et aussi combien ce que tu as dit aujourd'hui à notre rencontre par zoom avec l'EpSF, est vraiment intéressant et complète l'appréciation du film. Cela lui donne un relief particulier et donne envie de le revoir encore une fois, autrement ... Tes paroles nourrissent ("nurithent" ?.. ) la vision du film...
Je me permets ainsi de te faire part de quelques réflexions qui me sont venues :
D'une part, une grande découverte pour moi : le yiddish s'écrit en lettres hébraïques ! Je ne le savais pas et je trouve cela magnifique : quel plaisir d'apprendre cela !. Il y a très longtemps, je m'étais un peu intéressée au Yiddish (en restant très extérieure) et j'avais lu un livre de Jean Baumgarten sur cette langue. Je ne me souviens pas avoir lu qu'il précisait que cette langue était écrite en lettres hébraïques, mais peut-être l'ais-je refoulé. Je me souviens surtout qu'il décrivait combien cette langue était composite et comme cela m'avait passionnée, je m'étais servie de cette idée pour la transposer à des travaux de psychologie. Ensuite j'avais cherché des cours de Yiddish, mais sur Le Havre je n'avais trouvé personne, et j'avais abandonné. Ton film me relance dans ce désir...
Ensuite, tu filmes toujours les lieux puis les gens dans leurs lieux; mais je trouve que dans Yiddish, on entend particulièrement ce cheminement, un trajet qui va du lieu aux personnes qui parlent. Nous les psychanalystes lacaniens, nous parlons du Grand Autre, comme lieu du trésor des signifiants, comme lieu d'origine de la langue. Eh bien je trouve que cela prend particulièrement figure dans ton film ici: on part du lieu, d'où sort la langue pour chaque sujet. Un lieu à la fois physique, géographique et habité d'une langue, là où elle vit, d'où elle émerge.
Enfin, je voulais reprendre ce que je t'ai évoqué lors du débat : Tes films parlent des diverses langues et des va-et-vient entre ces langues. C'est vraiment passionnant. Mais je trouve que tu as toi aussi ta propre langue pour parler de toutes ces langues. Une langue cinématographique très personnelle. La façon dont tu joues des images comme d'un texte est vraiment ton trait particulier. Cette "langue graphique", en quelque sorte, se voit notamment quand tu as mis le texte en face du visage des personnes qui lisent la poésie. Il me semble que cela fait écho à la façon dont tu avais mis les traductions des signes en lettres, pour le film Signer : le texte était dans l'espace entre les êtres, et non en dessous. Cela me fait penser aux peintures pré-Renaissance, notamment les Annonciations, où le texte est gravé dans l'image.
Ainsi quand au dernier témoignage, Karolina Szymaniak évoque la passion de Débora Vogel et son désir de "faire du mot une construction très plastique"; j'ai tout de suite pensé que cela s'appliquait aussi à ta façon de filmer les langues : tu fais de la langue une construction plastique. La langue prend un corps particulier, un mélange d'oralité, et de plasticité. Et cette plasticité graphique, imagée, que tu lui donnes, renvoie souvent à l'étymologie également : l'étymologie à la fois dans le texte et dans l'image. C'est donc à la fois instructif et un ravissement pour les yeux. C'est un film à lire !...
Donc je voulais encore te remercier de nous apporter tout cela, et j'espère que tu trouveras encore des financements pour pouvoir continuer tes films et nous enchanter.
Bien à toi,
Marie-Odile