Une image du film documentaire français de Nurith
Aviv, "Langue sacrée, langue parlée".
Jadis chef-opérateur de films réalisés par Agnès
Varda, Jacques Doillon ou Amos Gitaï, Nurith Aviv s'est mise depuis
1989 à réaliser des documentaires sur la transmission, l'abandon, la
perte. Elle prolonge aujourd'hui une réflexion sur la langue, entamée
avec D'une langue l'autre
où des poètes, chanteurs, écrivains, confiaient leur relation entre la
langue de leur enfance et l'hébreu ? Dans Langue
sacrée, langue parlée, ils sont treize (écrivains et
artistes, parmi lesquels Haïm Gouri, Etgar Keret, Orly Castel-Bloom) à
définir leur relation personnelle à l'hébreu, qui fut langue sacrée
pendant des siècles pour les juifs de la diaspora et qui, par volonté
politique, est devenu une langue parlée au quotidien depuis le début du
XXe siècle.
POURQUOI PAS
Qu'est-ce qui a été préservé, qu'est-ce qui a été
oublié, ou refoulé, qu'est-ce qui demande à resurgir chez ces habitants
d'un Etat dont avait rêvé Theodor Herzl lors du premier congrès
sioniste : un foyer pour le peuple juif installé en Palestine, où
chacun parlerait "sa langue car elle est la patrie bien-aimée
de ses pensées" ? Pour le laïc Haïm Gouri, l'hébreu
est "la base de la renaissance nationale". Pour
Michal Govrin, fille d'une rescapée de la Shoah qui avait perdu la foi,
"le Talmud, cet immense poème existentiel, constitue le
judaïsme". Née dans une famille de juifs égyptiens, Ronit
Matalon sentait un fossé entre les livres ancestraux, traduits en
termes précieux, et l'hébreu qu'elle entendait parler dans la vie
courante ; elle s'applique à faire en sorte que la langue
sacrée ne soit plus une pièce de musée, devienne langue vivante, en
mêlant dans ses textes la langue des Ecritures et le langage profane.
Fils de survivants de la Shoah, lauréat de la Caméra d'or au Festival
de Cannes en 2007 pour son premier film Les Méduses,
Etgar Keret parle d'un héritage plus intuitif que politique. Ecrivant
ses romans dans un hébreu courant, Orly Castel-Bloom a donné à ses
enfants des prénoms bibliques et fait évoluer son style, mariant le
style du Talmud à un réalisme contemporain. Artiste plasticienne,
Michal Naaman fait l'apologie de l'"étrangèreté" de
la langue.
A
l'unisson du prologue du film, qui montre les images de la ligne de
chemin de fer Jérusalem-Jaffa enregistrées en 1897 par Alexandre Promio
en Terre sainte, envoyé par les frères Lumière, Nurith Aviv entrecoupe
ces témoignages de beaux plans montrant les paysages d'Israël filmés
d'un train. Simple et belle, sa réalisation encadre sobrement les
propos sereins et passionnants de ces héritiers d'une tradition, optant
pour un langage laïc ou religieux, poétique ou politique.
Film documentaire franco-israélien de Nurith Aviv. (1 h 13.)
Jean-Luc Douin